Nous sommes des chasseurs-cueilleurs en cravate et en robe du soir...

Je viens de terminer le texte de Pierre Lévesque, conférencier et obstétricien-gynécologue.. J'ai aimé la remise en question et les questionnements de l'auteur qui cherche à comprendre pourquoi son point de vue sur l'allaitement a évolué. J'ai aussi beaucoup apprécié le côté anthropologique et biologique de ses arguments.

Je vais vous parler des points qui m'ont marqué et je vous invite à le lire ce texte en entier: http://www.groupemaman.org/docs/levesque.pdf

Rappelons-nous que l'Homme est considéré comme étant un animal de la classe des mammifères, c'est-à-dire des animaux à température constante recouverts de poils et qui nourrissent leurs petits avec le lait de leurs mamelles. Parmi les mammifères, nous sommes classés dans l'ordre des Primates qui sont des espèces sociales, à contact continu et à bébé unique et porté. Il y a 5 à 7 millions d'années la famille des Hominidae s'est séparée de celle des Pongidae représentée aujourd'hui par le chimpanzé, le gorille et le bonobo.

Nous avons ensuite vécu 99,6% de notre histoire en communion avec la nature selon le mode d'existence de chasseur-cueilleur. C'est dans le cadre de ce mode de vie que la nature a forgé l'être humain avec toutes ses caractéristiques vitales. Histoire qui n'est pas intégrée dans les livres d'histoire soit par ignorance de son intérêt ou pire, par négation de son existence! Peut-être aussi par honte sur ce passé de "peuplades qui ont une existence malpropre, bestiale et une vie brêve"! Il ne faut donc pas s'étonner que nous ne sachions plus qui nous sommes.!

Si l'on prend 4 générations (100 ans) = 1 mètre, 25 mètres nous ramène en arrière de 2500 ans, à Platon et au début de notre civilisation. 75 mètres plus loin, nous assistons au début de l'agriculture. Homo Sapiens quant à lui, est apparu 2000 mètres en amont, et on retrace la route du vieil Homo Ergaster, jusqu'à 20 km plus loin! Toutes les générations situées entre 100 mètres et 20 km de nous n'ont connu qu'un seul mode de vie: celui de chasseur-cueilleur.

Nous sommes des chasseurs-cueilleurs en cravate et en robe du soir mais en naissant, nos bébés sont inconscients de cette subtilité.

Parlons de la vie chez les chasseurs-cueilleurs... Imaginons une bande formée de moins de 50 personnes, constituée d'une ou de quelques familles élargies. Dans cette société, la gouvernance est flottante, sans leader fixe et les décisions importantes sont finalement prises en collégialité et en présence de tous y compris des enfants. L'économie est fondée sur la chasse, la pêche et la cueillette selon la disponibilité des ressources. Elle est basée sur la complémentarité homme/femme plutôt que sur la spécialisation. Les biens de prédation sont partagés entre tous. La propriété individuelle est limitée en l'absence de stockage. Tout surplus s'avère encombrant dans un mode de vie où la mobilité constitue un fait vital total. Dans ce type de société où les individus se connaissent intimement et où la solidarité est essentielle, les conflits sont rares en absence de droits exclusifs sur les biens et les ressources. La notion de travail (au sens entendu) n'existe pas. La contribution de chacun à l'acquisition de la nourriture est exigée selon ses capacités et l'effort de production cesse dès que la subsistance est assurée.

La bande représente d'ailleurs toujours la structure de base de la société humaine. Combien de personnes connaissez-vous bien? A combien de personnes faites vous confiance? Notre bande se limite tout au plus à notre famille (plus ou moins élargie). et à quelques amis, même en ville ou la multitude ne signifie rien.

Au cours de l'évolution, sont apparus successivement 3 cerveaux:

- (1) le cerveau reptilien (qui définit l'être biologique): c'est la plus ancienne partie du cerveau. qui s'occupe de la vie végétative. Il permet les mouvements grossiers du tronc, des membres, de la tête et des yeux. Il est responsable du réflexe d'orientation et de production des sons, des pleurs et des cris chez le nouveau-né. La maturation du cerveau reptilien est complète à la naissance.

- (2) le cerveau paléomammalien (qui définit l'acteur social qui tisse des liens avec autrui) : représenté surtout par le système limbique, il s'intéresse à la vie émotionnelle et aux relations d'affiliation.. Celui-ci mature pendant les 11ères années de la vie, de la naissance jusqu'à l'âge de 6 ans environ. avec un pic d'activité de 6 à 36 mois.

- (3) le cerveau néomammalien (qui définit le sujet en quête de sens) : responsable des comporrtements novateurs et des capacités de réflexion.

A la naissance, le poids du cerveau humain ne représente que le quart de celui de l'adulte. Il va doubler de poids au cours des 118 premiers mois de sa vie. Il lui faudra 14 autres années pour en refaire autant avant d'atteindre sa taille définitive vers l'âge de 15 ans. Chez le nourrisson, le cerveau brûle à lui seul entre 60 et 70% de tous les apports énergétiques tandis qu'il ne représente que 10% du poids corporel..

Le développement du cerveau semble respecter un certain ordre dans son processus de maturation. Il semble aussi exister des périodes critiques ou des fenêtres de possibilité ainsi que des expériences obligatoires.

Tout comme le cerveau du foetus attend l'air sans l'avoir encore respiré, tout comme l'oeil est prédisposé à s'imprégner de lumière, le cerveau du nouveau-né s'attend à recevoir toute une gamme de stimuli prévue à priori par la sélection naturelle. Cette gamme de stiulis est nécessaire à la construction harmonieuse du cerveau inachevé du bébé..

Plusieurs éléments de la puériculture des chasseurs-cueuilleurs s'avèrent constants à travers l'espace temps:

1) La grande proximité parents-enfants et tout particulièrement le lien qui unit la mère à son bébé.

Plusieurs études ont montré que les enfants qui fréquentent les garderies avant l'âge de 3 ans et qiui subissent des épreuves de séparation régulières et répétées ont des taux élevés des hormones du stress par rapport à ceux qui demeurent sous soins parentaux. Or, l'augmentation du cortisol est associée à la mort cellulaire programmée. et à l'établissement de voies neurologiques aberrantes. qui réduisent la tolérance ultérieure au stress ainsi que les habiletés sociales.

Certains craignent que cette grande et intense proximité parents-enfants ne se traduise par une plus grande dépendance et une altération des capacités de détachement chez les enfants. En fait, c'est le contraire qui se produit. Des études montrent que les enfants qui ont connu une proximité conforme à la norme biologique ont une plus grande autonomie et un développement psychomoteur et cognitif plus précoce que les enfants répondant au modèle occidental.

2) L'allaitement maternel est intense et prolongé

Chez les Bochimans du Kalahari, les femmes donnent le sein à leurs bébés en moyenne quatre fois l’heure pendant quelques minutes à la fois, soit plus de quarante-huit fois par périodes de douze heures d’éveil et elles passent la nuit en sommeil conjoint avec leurs enfants. Elles maintiennent ce rythme pendant les 18 à 24 premiers mois après l’accouchement et elles allaitent chaque enfant pendant une période de trois à quatre ans au total..

3) Le portage comme héritage de la vie arboricole

Le portage des bébés démunis au début de leur existence est une constante de la vie chez les Primates. Il n'est donc pas surprenant de constater que les chasseurs-cueilleurs portent systématiquement leur bébé, le plus souvent sur la hanche. L'enfant est généralement soutenu par une écharpe, ce qui laisse une totale liberté de mouvement aux bras et aux jambes. Les particularités de cette méthode de portage sont les suivantes:

- l'enfant voit ce que sa mère voit. Il partage ainsi la même vision des objets et de son monde social. Il perçoit ses réactions à ces données environnementales et les affects qui leur sont associées

- le bébé a un accès constant aux mamelles maternelles, qui sont nues et à proximité

- l'enfant a un accès aux bijoux et autres objets décoratifs utilisés par sa mère avec lesquels on lui permet de jouer à sa guise

4) L'unité mèrenfant est intimement et fortement intégrée à la communauté où elle est considérée comme une personne physique réelle, insécable

Il existe chez les chasseurs-cueilleurs, une unité essentielle inconnue dans nos sociétés: l'Unité mèrenfant. L'un et l'autre sont perçus comme une extension physique du corps et de la personnalité de l'autre et Une séparation est vécue comme une amputation.. Ce n'est pas seulement que le bébé a besoin de sa mère, mais plutôt que la mère et l'enfant sont essentiels l'un à l'autre., s'influençant l'un et l'autre, à la fois sur les plans physiologiques, psychologiques et comportemental.

Chez les chasseurs-cueilleurs, l'enfant vit en symbiose avec sa mère jusque vers l'âge de 3 ans. Puis, il passe d'un fort attachement maternel à une forte identification envers un groupe d'enfants d'âges variés. Au sein de ces groupes où les jeunes sont à des niveaux différents le développement, la compétition interpersonnelle est réduite au minimum. On observe le contraire dans notre monde où la tendance est à rassembler les enfants en groupe appariés. Ce type d'association est à risque pour le développement de comportements antisociaux.

Une autre caractéristique de la vie des chasseurs-cueilleurs est la présence de l'enfant à tous les moments et à tous les endroits de la vie communautaire.

Tous les enfants ne se tirent pas indemnes d'une prise en charge précoce qui s'éloigne de manière significative du modèle originel. Le bébé de maintenant étant identique au bébé d'autrefois, il s'attend toujours à une prise en charge spécifique d'espèce développée dans l'univers des chasseurs-cueilleurs. Malgré le mode de vie actuel qui fait fi de la nature, il n'y a toujours rien de moderne dans un bébé. Les besoins fondamentaux des bébés naissants sont les mêmes aujourd'hui qu'ils l'étaient au Paléolithique. Et les besoins fondamentaux de tous les bébés du monde sont les mêmes indépendemment de la culture de la communauté où ils naissent. Comme c'est le cas chez tous les grands primates anthropoïdes dont il fait partie, la destinée du bébé humain est d'être porté, d'être en étroit contact avec le corps maternel, d'être nourri au sein pendant des années et d'être intégré dans sa communauté.

Etre parent, c'est choisir. Prenant conscience de la nature de l'enfant, de son héritage et de ses besoins, les parents doivent se poser consciemment la question: "Comment désirons-nous élever notre bébé?"

Les parents d'aujourd'hui doivent retrouver le parent instinctif toujours présent en eux. Ils doivent se faire confiance. Tout ce qui heurte leur susceptibilité de parents doit être à priori suspect. Dans leur quête, ils seront aidé par le véritable expert qui ne leur fera pas défaut : bébé lui-même. Fort de la continuité de l'Histoire, fort de ses compétences acquises au coirs de l'évolution de notre espèce, leur bébé sera leur guide. Le bébé sait ce qu'il veut et il l'exprime. Pour savoir ce qui est bon pour bébé, il faut l'écouter. "La nature ne fait rien en vain" disait Aristote.